
[La monographie] [Un orchestre]
[Un élevage de poussins] [Histoire de Visker]
[Retour]
Quand Visker avait encore une épicerie (1948-1956)
La hournère, c'est l'ancienne épicerie

Dans une toute petite maison du centre du village, Antoinette Place, veuve déjà âgée, tenait une épicerie. Elle cessa son commerce, à ma connaissance, au début de la guerre, peut-être lorsque le réapprovisionnement devint difficile.
Pour aller se ravitailler en épicerie, il y avait peu de moyens : L’autobus qui emmenait les Visquerois , tous les quinze jours, au Grand Marché à Tarbes. Deux ou trois familles avaient un break et un cheval, utilisés rarement, pour aller, surtout, au marché de Bagnères ou de Lourdes. Enfin, certains descendaient à Tarbes à pied lorsqu’ils conduisaient du bétail au marché. Il fallait compter trois heures de route au pas des vaches.
Dans Visker, il n’y avait qu’une seule voiture, au bas du village. Elle était sur cales dans la grange d’une maison, protégée par des draps du type de ceux qu’on mettait sur les vaches en été. Enfants, nous allions la voir, exceptionnellement, comme une curiosité. En haut du village, Jean-Marie P., maquignon, eut rapidement une bétaillère à la Libération.
A la fin de la guerre, tout le monde trouvait peu pratique d’a-
voir à faire tant de kilomètres pour aller acheter le sucre, le
café et tout ce qu’on trouvait à nouveau en épicerie. Antoinette
était trop âgée pour rouvrir sa boutique.
En 1948, André B. avait 18 ans. Il exploitait, avec sa mère,
Françoise, et ses grands-parents, très âgés, une des petites
fermes du village. Ils avaient trois vaches et cinq hectares, dont
la moitié de terre arable, une vigne, une châtaigneraie et un pré
à l’Aube.
André eut l’idée de créer l’épicerie qui manquait à Visker. Il
était mineur, ce fut donc Françoise l’épicière officielle. Ils
installèrent leur échoppe hors de la maison, dans la « hournè-
re », près du portail toujours ouvert.
Notre épicier allait passer ses commandes à Tarbes, chez Laf-
forgue et Campan, lorsqu’il descendait à Tarbes, à vélo comme
tout le monde. Il n’utilisa jamais le téléphone.
L’usage du téléphone mit un moment à se banaliser. Visker put
avoir des lignes particulières à partir de 1968 seulement. Jus-
que là, le seul poste téléphonique était public. Il était à l’au-
berge, en face de l’école, chez S., Eulalie actionnait la manette
pour alerter la centraliste d’Ossun et lui demandait le numéro
souhaité. On réalise difficilement aujourd’hui le temps qu’il fal
lait pour avoir Ossun et ensuite le correspondant. Pendant des
années, la création d’une ligne est restée très longue à obtenir
des PTT et on a dit longtemps que la moitié de la France attendait le téléphone et l’autre moitié la communication.
J’ai gardé quelques souvenirs précis du changement provoqué dans la vie du quartier par l’ouverture de cette épicerie. Elle n’avait pas d’horaires fixes. A toute heure, même tard le soir, les clients allaient frapper à la fenêtre des B., et en l’absence de réponse appelaient Françoise à tue-tête.
Une révolution frappa Visker à cette époque : l’utilisation du gaz butane. Auparavant, le feu brûlait dans la cheminée hiver comme été, et on savait, à la fumée qui sortait de la cheminée, si les occupants étaient réveillés. Quel bonheur ce fut, en particulier pour faire chauffer le café du matin, de n’avoir qu’à allumer le réchaud qui trônait habituellement à côté de la cheminée. André tint naturellement le dépôt de butane et on vit s’accumuler les bouteilles dans la cour, près de la hournère.
Enfin, autre souvenir, le mercredi de la Semaine Sainte, arrivait chez André un baril de morue séchée et le soir même, les dames du village venaient à l’épicerie pour acheter de quoi préparer la traditionnelle brandade du Vendredi Saint. C’était une des très rares occasions où on mangeait du poisson à Visker, mises à part quelques truites échangées entre amis.
André et Françoise tinrent cette épicerie jusqu’en 1956, lorsque André entra à la Caisse d’Epargne de Tarbes. Entre temps, ils avaient cessé de cultiver leurs champs, avaient vendu leurs vaches, André avait créé un élevage de poussins en 1950 et s’était équipé d’une superbe Traction-Avant en 1953. Il transmit son commerce à Monsieur D., de Bernac-Debat, dont la camionnette monta dès lors à Visker, une fois par semaine.